Note de lecture : « La légéreté humanitaire, côté face », par Frédéric Vigneau, éd. Baudelaire
La légèreté humanitaire, côté face.
Editions Baudelaire
Par Frédéric Vigneau
Un livre de souvenirs d'un vieux briscard de l'Humanitaire ? ou de dénonciation des dérives d'un
secteur devenu concurrentiel et soumis à de multiples injonctions ?
Rien de tout ça, mais un livre écrit au fer rouge, par un acteur de la première heure, parti de tout
en bas de l'échelle. Un novice, logisticien de fortune, envoyé d'emblée sur le terrain le plus
aléatoire : Mogadiscio livrée aux milices rivales, au début des années 90, dans un pays dévasté
par la guerre et la famine. Les forces étrangères déployées pour y restaurer l'ordre rembarquent
piteusement, et tel geste médiatique, sac de riz à l'épaule, en laisse un souvenir grotesque et dérisoire.
L'organisation humanitaire qui a recruté ce jeune volontaire en quête de sens, est la seule structure
étrangère qui demeure à pied d’œuvre, avec le CICR. Elle est certes aisément reconnaissable derrière
son nom d'emprunt; mais l'auteur ne souhaite pas faire œuvre d'historiographe: son propos est ailleurs,
dans la description d'un groupe d'intervenants livrés à eux-mêmes, mais décidés à mener à bien leur
mission.
Débarquant sans consignes ni procédures, il a la responsabilité de fournir à l'équipe médicale les moyens
indispensables, des locaux à la sécurité, des outils au ravitaillement. Un métier mal défini, entre
débrouillardise et diplomatie, avec un engagement de chaque instant auprès de toutes les composantes
de la mission. Et aussi la responsabilité de la liaison avec tous les acteurs ayant une parcelle d'autorité
ou d'entregent.
L'auteur révèle un réel talent pour nous faire partager ses émotions et ses doutes, mais aussi pour nous
émouvoir par les éclairs d'humanité qui transcendent la violence.
Après "Moga" et les camps de l'intérieur où s'effondrent les rescapés des massacres et de la famine,
l'auteur s'envole vers l'intérieur du continent : l'Ouganda post-Idi Amin où règne encore la barbarie,
défiée par les mêmes équipes d'humanitaires "tous terrains", puis le Tigré en lutte contre le Derg
d'Addis Abeba, une expérience frustrante aux côtés d'un mouvement rebelle politiquement structuré,
mais largement déshumanisé : au cœur du maquis du TPLF, l'auteur remet en question bien des
réflexions sur la place réservée à l'aide humanitaire au cœur d'un conflit.
Un récit qui nous emporte dans un passé pas si lointain, puisque ni les terrains, ni les enjeux, ni les
comportements n'ont radicalement changé. Mais, et peut-être surtout, loin des carnets de bord ou des
récits intimistes ou déclamatoires, l'auteur révèle un puissant talent d'écriture, fouaillant sans esquive
ses propres sentiments et pulsions, évoquant les béquilles de la musique, de la drogue et de l'alcool.
Cette "légèreté humanitaire" est la noblesse de ces héros anonymes qui montent au front armés seulement
de leur humanité. Côté face...
Marc Lavergne
Afrique de l’Est : islamisme = terrorisme ?
Une réponse nuancée apportée à Jolpress le 26 février 2014, au retour d’une courte mission en Centrafrique :
http://www.jolpress.com/afrique-corne-est-kenya-islamistes-boko-haram-pirates-shebab-article-824663.html
Septembre 2013 : panique à Nairobi
- Mon premier voyage au Kenya remonte à 1977 : La Communauté d’Afrique de l’Est était en train de se saborder, et j’avais pris le dernier avion des East African Airways pour Arusha en Tanzanie.
- Mon deuxième voyage, avec Nadine B. , devait juste être un transit en direction de la Tanzanie pour un reportage sur le « socialisme africain » de Julius Nyerere.Le lendemain de notre arrivée,1er aout 1982, réveil en fanfare, dans un petit hôtel de Nakuru. L’armée a pris le pouvoir, le président Arap Moi est entre ses mains, « situation is under control ». Le président s’est évadé et a repris le dessus après trois jours de massacres et de pillages dans la capitale : bilan 1800 morts au bas mot, surtout des étudiants, une répression féroce des Luo qui se réfugiaient en masse à Kisumu sur le lac Victoria. Mais c’est à l’autre bout du pays que j’ai fait la connaissance des shifta (coupeurs de route) somalis, en cherchant refuge à Garissa, chef-lieu de la province du Nord-est, où l’on n’accédait qu’en convoi militaire…Et le bimoteur Piper Navajo qui nous tira de la ville encerclée appartenait à des matrones somalies, qui siégeaient chaque jour sous un acacia au bord de la piste. L’avion transportait la drogue locale, la miraa, jusqu’en Somalie où les hommes attendaient avec leurs chameaux pour en ravitailler les campements.
- En juin 2002, j’arpentais les couloirs et les salons des grands hôtels de Nairobi, en tant que conseiller politique et juridique de la Joint Military Commission : une mission tripartite chargée de mettre en oeuvre le cessez le feu signé en janvier 202 entre gouvernement de Khartoum et SPLA dans les monts Nuba. Des séances souvent exténuantes et exaspérantes face aux représentants d’ONG activistes américaines, financées par la CIA, qui accusaient essentiellement la JMC de partialité ; une advocacy stérile et confortable, genre « Kouchner », alors que les réunions avec la direction du SPLA étaient beaucoup plus sereines. Et comme notre mission dans les monts Nouba servait de test de la bonne volonté des deux parties, et bientôt de modèle de mise oeuvre d’un règlement, j’assistais dans la petite ville tranquille de Machakos aux négociations secrètes qui allaient bientôt se déplacer à Naivasha et déboucher sur l’accord de paix global de janvier 2005. Mais ceci est une autre histoire…
- Tout cela pour dire que le Kenya, paradis de l’homme blanc, et en particulier Nairobi, est une poudrière et un coupe-gorge ; et que la question somalie, parmi tous les autres différends interethniques, n’est pas près d’être résolue. Et que les shebab ont fait preuve de beaucoup d’intelligence stratégique, en plus de compétences techniques, en choisissant Nairobi comme théâtre de leur exploit. Sans parler de la caisse de résonance qu’est ce centre névralgique de la présence néocoloniale et onusienne en Afrique. Et ceci ne vaut évidemment pas adhésion à leurs actions et à leur projet, contrairement à ce qu’a cru comprendre un commentateur mal avisé.
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