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Marc Lavergne ce mercredi 28 mars sur RFI en anglais : Le Qatar et le Soudan montent en gamme dans leur vieille alliance contre l’Arabie Saoudite, qui devient un ménage à trois avec la Turquie, autour de la cité portuaire historique de Suakin.
Il s’agissait naguère de prendre en tenailles l’Arabie saoudite, à l’époque (1992) où Ben Laden avait installé Al-Qaida à Tokar, dans le delta du Gash, et où Al-Jézira lançait sa révolution médiatique (1996) contre la forteresse saoudienne. En 2006 encore, lorsque j’intervenais à l’ONU au nom du groupe d’experts du Conseil de sécurité pour le Darfour, c’est le délégué du Qatar, à l’époque membre non-permanent, qui défendait avec virulence – et compétence – le dossier soudanais, dont les diplomates l’attendaient à la porte.
On rejoue donc la partie, avec la concession de Suakin à la Turquie et au Qatar. Mais la donne a changé : la mer Rouge devient un enjeu régional et global, avec d’abord les projets de Sissi sur le canal de Suez, puis de l’Arabie saoudite avec le projet Vision 2030 au Nord, et en dernière date le projet égypto-saoudien à l’entrée du golfe d’Aqaba, qui intègre Israël et la Jordanie dans une alliance contre toutes les « forces du mal » : le Hamas le Hezbollah et l’Iran et leurs supporters susnommés.
Pour le Qatar, il s’agit de rendre la monnaie de sa pièce à l’Arabie et à ses alliés en développant une stratégie offensive, aux portes de La Mecque qui plus est; pour la Turquie, de chausser les bottes de l’empire ottoman de la mer Rouge à l’océan Indien et jusqu’en Afrique du Sud, comme l’avait fait avec succès le mouvement de Fethullah Gülen. Rappelons que le port oublié de Suakin sous contrôle ottoman fut pendant des siècles et jusqu’à la fondation de Port-Soudan par les Britanniques en 1905, le port d’embarquement des pèlerins de toute l’Afrique sahélienne vers Jeddah, et que l’idée qu’il puisse devenir une porte d’entrée de la Turquie sur le continent africain a une certaine résonance de part et d’autre.
Le Yémen garde sa place, confuse, dans ces stratégies, car personne ne sait comment se dénouera l’écheveau…Mais le soutien opportuniste du Soudan à l’ alliance saoudo-émirienne paraît comme ce qu’il était : de la poudre aux yeux, un appeasement nécessaire mais temporaire. Quant à la relation égypto-soudanaise, elle devient carrément exécrable.
La France et ceux qui, comme elle, ont cru pouvoir ménager la chèvre et le chou, Arabie, Emirats et Qatar d’un côté, Egypte et Soudan de l’autre, selon la bonne vieille formule que toutes les dictatures sont bonnes à prendre, et en tous cas meilleures que les démocraties, pour le business et les ventes d’armes, risquent de se trouver « embarrassées ». Tant pis pour elles, de toutes façons elles ne pèsent plus dans ce « Grand jeu » qui leur échappe.
https://www.dailysabah.com/africa/2018/03/26/sudan-qatar-ink-4-billion-deal-to-develop-suakin-seaportMarc