Les tribulations d'un géographe, d'un Orient à l'autre

Le Dialogue : Présentation du numéro 13 « Mer Rouge » de la revue Orients Stratégiques


Éthiopie : le barrage sur le Nil est « une victoire majeure qui ne suffira pas à réunifier le pays »

21 février 2022

https://www.france24.com/fr/afrique/20220221-%C3%A9thiopie-le-barrage-sur-le-nil-est-une-victoire-majeure-qui-ne-suffira-pas-%C3%A0-r%C3%A9unifier-le-pays

France 24 fait le point sur les enjeux économiques et politiques du barrage de la Renaissance avec Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS spécialiste de la Corne de l’Afrique.   

Deux voisins de l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan tentent depuis des années de bloquer ce projet de barrage. Dans ce combat, le lancement de la production d’électricité constitue-t-il une avancée pour l’Éthiopie ou bien une victoire définitive ?   

Marc Lavergne : Il s’agit à mon sens d’une réelle victoire pour l’Éthiopie car l’activation du barrage va démontrer une bonne fois pour toute que l’argumentaire égyptien ne tient pas. Ces derniers affirment que le projet risque d’occasionner des problèmes d’approvisionnement en eau. Or l’Égypte n’est pas du tout en situation de pénurie potentielle. Il y a effectivement des problèmes d’approvisionnement mais qui sont avant tout liés à des infrastructures défaillantes et à une mauvaise optimisation, car l’eau est gratuite en Égypte et ne passe pas par un opérateur.  

Dans ce conflit, le dirigeant al-Sissi cherche avant tout à protéger sa position d’allié régional des États-Unis, essentielle pour sa survie politique. L’influence grandissante de l’Éthiopie à travers ce projet économique majeur est perçue comme une menace par le Caire.    

Le Soudan, ancienne colonie égyptienne historiquement dépendante de son voisin, a soutenu l’initiative du Caire pour des raisons politiques mais était en réalité assez embarrassé. Le gouvernement avait même reconnu que le barrage pourrait au contraire être une protection contre les inondations qui posent de gros problèmes au Soudan.

Dans ce contexte, la partie semble définitivement perdue pour l’Égypte qui avait un temps menacé de bombarder le barrage, mais ne peut se permettre une telle riposte vis-à-vis de ses soutiens américains et israélien.   

Ce barrage, parmi les plus grands au monde, aurait coûté plus de quatre milliards de dollars selon les experts. Quels bénéfices économiques l’Éthiopie espère-t-elle en tirer ?  

Le pays est dans une situation économique très compliquée. Il fait face à une crise d’appauvrissement des terres cultivables du fait d’une surexploitation des sols, liée à la très forte croissance démographique avec une population qui atteint aujourd’hui 115 millions d’habitants.

Jusqu’ici les principaux investissements étrangers dans l’économie concernaient l’emploi de main-d’œuvre dans l’industrie textile qui, encore moins cher qu’au Bengladesh, figure parmi les plus rentables au monde. Son commerce extérieur demeure très pauvre et se limite principalement aux exportations de fleurs et de café et à l’importation de produits pétroliers.

Dans ce contexte, l’exploitation du barrage représente une manne financière énorme à l’échelle du continent, dont l’approvisionnement en électricité est largement insuffisant, mais également à l’échelle du monde, avec notamment la Chine, principal partenaire économique de l’Éthiopie. Elle a accepté de préfinancer le barrage et compte beaucoup sur les exportations éthiopiennes.     

La guerre entre le gouvernement central et les rebelles tigréens du nord perdure depuis plus d’un an. Le Premier ministre a récemment mis fin à l’état d’urgence, libéré des prisonniers et accepté la mise en place d’un dialogue national. Le barrage, désormais fonctionnel, peut-il favoriser une résolution du conflit ?    

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Le barrage de la Renaissance a été initié par l’ancien Premier ministre et dirigeant du Front de libération du peuple du Tigré, Meles Zenawi. Ce dernier avait alors présenté ce projet comme une opportunité économique majeure qui permettrait de mettre fin, une fois pour toute, aux conflits interethniques pour unifier le pays. Cette approche nationaliste avait suscité un engouement très fort de la population qui a largement été mise à contribution.

Le projet a été financé en partie par le biais de taxes sur le salaire des fonctionnaires ainsi que par des collectes qui ont connu un grand succès. Certains Éthiopiens sont allés jusqu’à céder leurs biens et donner leurs bijoux de famille pour y participer. Car l’Éthiopie a beau être une nation pluriethnique attachée à la diversité, le sentiment nationaliste y est extrêmement fort.     

Aujourd’hui, la mise en service du barrage donne l’impression qu’Abiy Ahmed a gagné face aux Tigréens puisqu’il est parvenu à faire aboutir le projet. Cette avancée économique majeure lui permet de reléguer le conflit avec le TPLF en crise régionale, mais en réalité elle ne suffira pas à réunifier le pays. L’accomplissement de ce vieux mythe éthiopien par le progrès économique paraissait jouable en 2011 lorsque le TPLF était au pouvoir. Mais pour mener la guerre contre les Tigréens, Abiy Ahmed, qui n’avait pas réellement d’armée, a instrumentalisé les divisions ethniques.

Aujourd’hui il a totalement perdu le contrôle de ce conflit qui ne pourra se régler par une simple déclaration de victoire ou un cessez-le-feu. La question désormais est de savoir à quoi va servir le barrage. Car outre le risque de sabotage lié au conflit, la bonne exploitation de cet outil nécessite des investissements massifs étrangers qui risquent d’être remis en question dans un contexte de guerre généralisée.



Note de lecture : « La légéreté humanitaire, côté face », par Frédéric Vigneau, éd. Baudelaire
25 novembre, 2022, 15:31
Classé dans : Action humanitaire,CORNE DE L'AFRIQUE,Ethiopie,Kenya,Somalie,SOUDAN
La légèreté humanitaire, côté face.
Editions Baudelaire
Par Frédéric Vigneau

Un livre de souvenirs d'un vieux briscard de l'Humanitaire ? ou de dénonciation des dérives d'un
 secteur devenu concurrentiel et soumis à de multiples injonctions ? 
Rien de tout ça, mais un livre écrit au fer rouge, par un acteur de la première heure, parti de tout 
en bas de l'échelle. Un novice, logisticien de fortune, envoyé d'emblée sur le terrain le plus
 aléatoire : Mogadiscio livrée aux milices rivales, au début des années 90, dans un pays dévasté
 par la guerre et la famine. Les forces étrangères déployées pour y restaurer l'ordre rembarquent 
piteusement, et tel geste médiatique, sac de riz à l'épaule, en laisse un souvenir grotesque et dérisoire. 
L'organisation humanitaire qui a recruté ce jeune volontaire en quête de sens, est la seule structure
 étrangère qui demeure à pied d’œuvre, avec le CICR. Elle est certes aisément reconnaissable derrière
 son nom d'emprunt; mais l'auteur ne souhaite pas faire œuvre d'historiographe: son propos est ailleurs, 
dans la description  d'un groupe d'intervenants livrés à eux-mêmes, mais décidés à mener à bien leur 
mission. 
Débarquant sans consignes ni procédures, il a la responsabilité de fournir à l'équipe médicale les moyens
 indispensables, des locaux à la sécurité, des outils au ravitaillement. Un métier mal défini, entre 
débrouillardise et diplomatie, avec un engagement de chaque instant auprès de toutes les composantes
 de la mission. Et aussi la responsabilité de la liaison avec tous les acteurs ayant une parcelle d'autorité
 ou d'entregent. 
L'auteur révèle un réel talent pour nous faire partager ses émotions et ses doutes, mais aussi pour nous 
émouvoir par les éclairs d'humanité qui transcendent la violence.
Après "Moga" et les  camps de l'intérieur où s'effondrent les rescapés des massacres et de la famine, 
l'auteur s'envole vers l'intérieur du continent : l'Ouganda post-Idi Amin où règne encore la barbarie,
 défiée par les mêmes équipes d'humanitaires "tous terrains", puis le Tigré en lutte contre le Derg 
d'Addis Abeba, une expérience frustrante aux côtés d'un mouvement rebelle politiquement structuré,
 mais largement déshumanisé : au cœur du maquis du TPLF, l'auteur remet en question bien des 
réflexions sur la place réservée à l'aide humanitaire au cœur d'un conflit.
Un récit qui nous emporte dans un passé pas si lointain, puisque ni les terrains, ni les  enjeux, ni les 
comportements n'ont radicalement changé. Mais, et peut-être surtout, loin des carnets de bord ou des
 récits intimistes ou déclamatoires, l'auteur révèle un puissant talent d'écriture, fouaillant sans esquive
 ses propres sentiments et pulsions, évoquant les béquilles de la musique, de la drogue et de l'alcool. 
Cette "légèreté humanitaire" est la noblesse de ces héros anonymes qui montent au front armés seulement 
de leur humanité. Côté face...

Marc Lavergne



Vient de paraître : « La mer Rouge, convoitises et réalités sur un espace stratégique »

file:///C:/Users/M A R C/Downloads/FDP – LA MER ROUGE CONVOITISES ET RIVALITÉS SUR UN ESPACE STRATÉGIQUE-1-1.pdf

Ouvrage collectif sous la direction de Marc Lavergne et David Rigoulet-Roze

Collection Orients stratégiques, éditions L’harmattan

Parution : le 23/11/22
Format : 15,5 x 24 cm
250 pages
ISBN : 978-2-14-031008-9
26 €

Contact promotion & presse : contact.servicepresse@harmattan.fr
01 40 46 79 22
Harmattan Édition – Diffusion
5–7, Rue de l’École Polytechnique 75005 Paris
commande@harmattan.fr
Tel. : 01 40 46 79 20
Fax : 01 43 25 82 03

Cité futuriste NEOM d’Arabie Séoudite, grand barrage éthiopien de la Renaissance, aménagements touristiques et industriels des golfes d’Aqaba et de Suez, ruées vers l’or du Soudan et exploitation pétrolière offshore, font de la mer Rouge, au-delà de son rôle irremplaçable pour le commerce international, un objet de convoitise et de projection pour ses riverains, ses voisins et les puissances globales. Ces projets engendrent également
des préoccupations sécuritaires liées à la piraterie et au terrorisme. Et le « jeu de go »des bases militaires rivales n’évite pas les effroyables conflits qui déchirent le Yémen et l’Éthiopie. L’Alliance d’Abraham autour d’Israël, promu au rang de protecteur régional, suscite le soulagement des dirigeants. Mais le « Grand jeu » régional persiste dans la rivalité entre les protecteurs historiques et des concurrents de rang global – Chine et Russie – mais aussi régional – Iran et Turquie. Une quinzaine des meilleurs spécialistes, familiers ou originaires de la région, sont ici réunis pour livrer un éclairage renouvelé sur les nombreux défis auxquels cet axe névralgique est confronté.

Ont contribué à cet ouvrage :
Louis Blin, Marc Lavergne, Roland Lombardi, Alaa Al- Din Arafat, Laurent Amelot, Selma el Obeid, Bezunesh Tamru, Amina Saïd Chiré, Aden Omar Abdillahi, Didier Billion, Joséphine Dedet, David Rigoulet-Roze.

 



Actu Soudan 2021-2022
31 mai, 2022, 23:45
Classé dans : CRISES ET CONFLITS MONDE ARABE,INTERVIEWS RADIO,SOUDAN

Sur RFI, le 30 mai 2022

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220530-quel-est-l-objectif-de-la-lev%C3%A9e-de-l-%C3%A9tat-d-urgence-au-soudan

Dans ce contexte, le dialogue politique demandé par la junte est-il réellement envisageable ? Rien n’est moins sûr pour le chercheur Marc Lavergne. Selon lui, cette annonce est plutôt destinée à la communauté internationale. « L’image du Soudan est gravement dégradée. Cette transition démocratique a échoué. Du coup, la crédibilité du Soudan sur la scène internationale ne lui permet pas d’obtenir les fonds dont il aurait besoin pou résoudre la crise économique et sociale. Donc il s’agit de faire un jeu de balance en montrant aux Occidentaux que le Soudan essaie de faire ce qu’il peut pour rentrer dans une sorte de légalité. »

Soudan : retour à la case départ ?

Marc Lavergne

https://esprit.presse.fr/actualites/marc-lavergne/soudan-retour-a-la-case-depart-43817

Révolutionnaires à Atbara en novembre 2019 (photo Abbasher)

 

Au Soudan, l’ouverture du pouvoir à la société civile et la démission du président Omar Al-Bachir n’étaient que des mesures de façade, destinées à cacher à la communauté internationale la violence d’un régime militaire qui bafoue les aspirations démocratiques du pays.

La démission d’Omar Al-Bachir, le 11 avril 2019, avait été provoquée par une crise économique et sociale aiguë. Mais celle-ci avait fourni aux officiers supérieurs de l’armée l’occasion de débarquer un président qui, sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, ternissait l’image du Soudan. Trente ans après son accession au pouvoir le 30 juin 1989, son intention de se représenter à l’élection présidentielle, certes de pure forme, d’avril 2020, leur semblait de ce fait peu souhaitable1. De plus, l’Égypte du maréchal Al-Sissi, tout comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, déjà contrariés par le soutien accordé par le régime aux Frères musulmans, s’offusquait de voir la Turquie, épaulée financièrement par le Qatar, s’apprêter à ouvrir un point d’appui stratégique dans la rade de Souakin sur la mer Rouge.

Un coup d’État derrière une révolution en trompe-l’oeil

Les manifestations de rue, à Khartoum et dans les villes du Soudan central, furent donc encadrées par des forces de sécurité dont la répression demeura mesurée. La jeunesse s’installa même en un joyeux et libérateur sit-in devant le quartier-général des Forces armées, auquel mit fin la journée terrible du 3 juin 2019, où les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) de Hemedti se livrèrent à un brutal massacre. Une intervention internationale ferme remit le processus de transfert du pouvoir sur les rails, et les Forces de la liberté et du changement, encadrées par les syndicats professionnels, reprirent dans la rue leur rôle d’« idiots utiles ». La Déclaration constitutionnelle d’août 2019, la nomination d’un Premier ministre civil en septembre, et celle en octobre d’un gouvernement en majorité composé de civils, avec un calendrier de transition de trente-sept mois vers la démocratie, pouvaient dès lors être considérées comme des concessions temporaires à la rue et aux Occidentaux.

Ces concessions se traduisirent par une mascarade constitutionnelle, avec la création d’un Conseil de souveraineté dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan, ancien bras droit d’Omer Al-Bachir, lui-même benoîtement confiné chez lui pour « raison de santé »2. Il ne s’agissait dès lors que d’attendre que l’enthousiasme de la rue s’épuisât, dans un scénario écrit à l’avance à destination des soutiens régionaux de l’armée, comme des bailleurs de fonds internationaux.

Après trente ans de dictature militaro-islamiste, il en eût fallu plus pour convaincre que les détenteurs du pouvoir s’étaient résignés à passer la main. L’alliance avec les civils imposée depuis Washington n’était qu’opportuniste, ceux-ci étant chargés de restaurer l’image du Soudan à l’étranger et de remettre l’économie à flots, sous la protection intéressée des militaires. Accessoirement, les civils devaient servir de paratonnerre face à une population épuisée et affamée, impatiente de voir les réformes se traduire par une amélioration de sa vie quotidienne.

Une révolution peut en cacher une autre

Si les militaires partageaient le pouvoir, ce n’était pas avec les civils, mais avec un troisième acteur qui se tenait en retrait : les RSF, héritières des Janjawid, dont les aînés avaient ravagé les villages du Darfour vingt ans auparavant, attendaient leur heure. Sous la houlette de leur chef Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, ces bandes recrutées au Darfour ont fait irruption dans la capitale, à mille kilomètres de leurs bases : une entrée fracassante dans le nouveau jeu de pouvoir à Khartoum, rompant le face-à-face entre le peuple et l’armée, récurrent depuis l’indépendance… Ces supplétifs locaux, recrutés initialement pour opérer un nettoyage « ethnique » des campagnes du Darfour au profit de tribus « arabes » moins bien loties en terres et en eau, ont désormais pour objectif de mettre la main sur l’ensemble du pays, en s’appuyant au besoin sur des puissances étrangères.

Une irruption qui, en arrière-plan, tend à renverser le traditionnel déséquilibre entre le centre et les périphéries du pays : l’affrontement séculaire entre « civilisation » et « barbarie », « islam » et « paganisme », « arabité » et « africanité », confirmant l’analyse de l’affrontement cyclique entre badawa (bédouinité) et hadara (sédentarité) par Ibn Khaldûn au xive siècle.

Des civils désarmés, mais surtout désunis

L’équilibre instable de ce jeu à trois des premières années de la « transition démocratique » a rapidement évolué au détriment des civils. Ceux-ci ont en effet accompli la mission qui leur était implicitement impartie : masquer la réalité des enjeux de pouvoir aux yeux de la « communauté internationale », c’est-à-dire de l’Occident, et obtenir la levée des sanctions internationales héritées de l’ère Al-Bachir. Elle fut obtenue à grands frais, puisque la reconnaissance forcée de l’État d’Israël a été un « baiser de la mort » aux yeux de l’opinion publique, non pas tant à cause d’une hostilité de principe qu’en raison de cette atteinte à la dignité du peuple soudanais, contraint à s’y soumettre par un chantage financier.

L’ouverture des vannes financières internationales et l’appel aux investisseurs étrangers ont indiqué aux militaires que les civils avaient rempli leur feuille de route, grâce aux efforts du Premier ministre, Abdallah Hamdok. L’histoire jugera de la responsabilité de ce personnage intègre et compétent, dans l’échec de la « transition démocratique » qu’il a incarnée. Il n’aura en tout cas pas pu empêcher, à son corps défendant, la société politique soudanaise de réveiller ses vieux démons.

Une maturité politique qui se retourne contre ses acteurs

Le soulèvement de décembre 2018 avait surpris les observateurs par la maturité de ses revendications et par sa capacité organisationnelle dans un pays dévasté. Ces qualités avaient permis à l’insurrection populaire de tenir bon face à la répression, en exprimant une réalité méconnue : l’ancienneté et la solidité de l’aspiration démocratique au Soudan.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société soudanaise s’est dotée du plus large et plus vivace éventail politique d’Afrique et du monde arabe : confréries religieuses et partis d’idéologie progressiste ou conservatrice, religieuse ou laïque, ont trouvé, dans cet ensemble humain composite et ouvert, un terrain d’affirmation, de débat et de confrontation. Ce n’est pas un moindre sujet d’étonnement que de découvrir qu’une fois levée la chape de la dictature, sont réapparues, y compris dans la jeunesse, des affiliations et des espérances que l’on dit ailleurs surannées ou obsolètes. Ces forces étaient déjà resurgies lors d’intifadas populaires, comme en octobre 1964 contre le maréchal Abboud, ou en avril 1985 contre le maréchal Jaafar Nimeiri.

Mais leurs divisions, leur manque de capacité décisionnaire et la transcendance des liens sociaux sur les affiliations idéologiques ont constamment conduit à l’échec rapide des expériences démocratiques. Les coups d’État militaires, dans les deux cas précités, n’ont ainsi été qu’une réponse à une demande des dirigeants civils en situation de blocage né de leur désunion.

Le coup d’État fondateur du régime d’Omar Al-Bachir avait été d’essence quelque peu différente : une force politique particulière, hors du système, le Front national islamique de Hassan Al-Tourabi, en avait été l’instigatrice. Ce mouvement radical et moderniste n’avait pas tant pour but de ramener le peuple à la « vraie foi » que de le contraindre à se « moderniser » : comme me le confiait Hassan Al-Tourabi lors de nos échanges, avant comme après le coup d’État, son but était de mobiliser un peuple qu’il jugeait « arriéré » et « paresseux ». Il voulait lui insuffler le goût de l’effort et l’appât du gain, un objectif auquel il conférait une valeur spirituelle. Un modèle d’économie ultralibéral, où l’islam était réduit à un rôle de légitimation et de coercition sociale : ce régime de « salut public », instauré en juin 1989, n’avait d’ailleurs pas tardé à sombrer dans la corruption et l’accaparement glouton des ressources par une poignée d’arrivistes, vite rejoints par la hiérarchie militaire.

Une culture de la résilience

La société politique soudanaise a néanmoins étonnamment survécu à ces trente années de répression impitoyable, de torture, d’embrigadement, de prison et d’exil. Et le soulèvement général déclenché en décembre 2018 perdure aujourd’hui, en dépit des massacres de manifestants. L’association des syndicats professionnels des cadres de la société, fonctionnaires, ingénieurs, médecins, enseignants, juges et avocats, a toujours réussi à sauvegarder son autonomie, par-delà les clivages opposant islamistes et laïcs : des îlots de liberté, hérités du modèle anglo-saxon. Pour la jeunesse, qui a grandi sous la contrainte, ce sont les Forces de la liberté et du changement qui ont encadré et animé ce « printemps de Khartoum », qui a vu se libérer la parole et l’expression créatrice.

Mais si les Soudanais sont des adeptes du débat, ils sont souvent moins enclins à la discipline et à la prise de décision, à l’exception de ces deux mouvements révolutionnaires, opposés mais symétriques : les islamistes et les communistes. À l’exception également des peuples des périphéries, loin de la vallée du Nil et des corridors marchands entre l’Afrique noire et la Méditerranée, aux confins de l’Abyssinie, dont les collines boisées bordent le Nil Bleu, ou sur les collines escarpées des monts Nouba, qui surgissent de l’immense plaine du Kordofan. Ces deux réservoirs séculaires d’esclaves demeurent rétifs à l’arabisation comme à l’islamisation, et suspicieux à l’égard des mouvements qui secouent la société urbaine du Centre.

Quant au lointain Darfour, antique sultanat marchand qui ne fut définitivement placé sous la tutelle de Khartoum qu’en 1916, il reproduit à son échelle la situation du pays, avec un rapport historique centre-périphérie inversé : une quinzaine de peuples « africains » non métissés, ayant conservé leur langue et leurs coutumes, occupaient historiquement le centre politique et géographique de la région, sur les flancs et aux abords du massif montagneux qui en forme l’épine dorsale, tandis que les tribus nomades arabisées et islamisées qui les entouraient se trouvaient en situation vassale.

L’ultimatum des périphéries

L’équilibre instable et la fluidité qui régissent la relation entre ces éléments qui constituent la nation soudanaise dans sa diversité, ont resurgi en force à l’occasion de la présente révolution.

L’heure du règlement des comptes entre groupes dominants comme dominés semblait avoir sonné, avec une bonne volonté affichée de part et d’autre, d’autant que l’exemple désastreux de la sécession du Soudan du Sud en 2011 semblait avoir servi de leçon. Malheureusement, autour d’un Premier ministre accaparé par la réintégration du Soudan sur la scène internationale, la question fondamentale du rapport entre le centre et la périphérie n’a pas été traitée. L’amertume des mouvements rebelles face à l’indifférence du gouvernement central devant leurs revendications, ou devant l’absence de mesures en faveur des peuples persécutés et devant l’insécurité grandissante due aux groupes armés, a sapé le capital de confiance dans la « transition ».

Si la « Déclaration constitutionnelle » d’août 2019 avait pour but d’amadouer la communauté internationale, avec ses proclamations en faveur de la femme et de la liberté religieuse, l’accord de paix de Juba, signé avec la plupart des mouvements rebelles en octobre 2020, est venu trop tard et a déçu les attentes.

Les monts Nouba offrent un parfait contre-exemple au fonctionnement du gouvernement central : les Nouba, un terme générique pour une cinquantaine de petits peuples distincts, refoulés par les nomades alentour, ou repliés là en quête de terres fertiles et bien arrosées, font preuve d’une unité et d’une solidarité impressionnantes. Mobilisés durant vingt ans aux côtés des Sudistes dans la lutte de ceux-ci pour l’indépendance, ils exigent obstinément, comme préalable à tout règlement, la séparation de la religion et de l’État au niveau national. Musulmans, animistes et/ou chrétiens, ils affichent leur détermination à s’opposer, les armes à la main, à toute nouvelle tentative de les réduire, traitant désormais de « mulâtres » les Soudanais « métissés » de culture arabo-musulmane.

Au Darfour, le gouvernement de la transition a été incapable de résoudre la situation héritée de l’effroyable répression de 2003-2006 : le Sudan Liberation Movement (SLM), qui lança la rébellion armée, compte encore quelques combattants dans le massif du djebel Marra, et il a également refusé l’accord de paix de Juba. Quant aux deux autres mouvements armés, le SLM-Minnawi, du nom de son chef, une scission du SLM initial d’Abdel Wahid Mohamed Nour, comme le Justice and Equality Movement (JEM) de Jibril Ibrahim, ils ont tous deux signé l’accord, en échange de sièges au Conseil de souveraineté, organe suprême de la transition, et de postes ministériels de premier plan3.

Mais la situation sur le terrain ne s’est pas améliorée, bien au contraire. Les conflits pour la terre, liés au retour des déplacés entassés depuis vingt ans dans des camps et au sort des occupants installés à leur place, ont à plusieurs reprises dégénéré en massacres et en règlements de comptes interethniques.

Cavaliers seuls au Darfour

De plus, le Darfour est le berceau des RSF, chargés officiellement de contrôler les frontières, ce qui leur a donné accès aux ressources des migrants, des trafics en tous genres et désormais le contrôle des mines d’or de ce nouvel Eldorado. Ils sont désormais « légalisés », voire source de légalité : leur chef, Hemedti, est devenu le deuxième personnage le plus important de l’État, dont il bafoue impunément les règles en exportant son or directement à Dubaï, par avion, sans contrôle ni taxation4. Mieux, c’est lui qui a été l’artisan de la reconnaissance d’Israël. L’homme-lige des bailleurs de fonds du Golfe, qui ont fait sa fortune en lui « achetant » des mercenaires pour servir de chair à canon au Yémen, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Ce condottiere d’origine modeste est devenu le prestataire de la Russie, organisant le passage du groupe Wagner par le Darfour, entre Libye et République centre-africaine. À cheval entre le Tchad et le Soudan, on se demande encore où s’arrêtent ses ambitions. Les RSF, devenues son armée privée, sont mieux entraînées, mieux armées et mieux payées que l’armée régulière, et surtout, comme leur chef, ils n’ont pas de sentiments d’ordre patriotique ni de contraintes juridiques. Après le Yémen, ils combattent aujourd’hui dans les rangs du maréchal Haftar en Libye, tandis que d’autres, issus des groupes islamistes, comme le JEM, combattent dans le camp du gouvernement « légal » de Tripoli. Ces recrues – ironie de l’histoire – sont souvent recrutées dans les camps de déplacés du Darfour – des enfants des camps, dont les parents ont été pourchassés ou massacrés par ce même Hemedti, considéré aujourd’hui comme leur bienfaiteur5 !

Le JEM est ainsi l’héritier de la pensée de Hassan Al-Tourabi, pour lequel l’agenda islamiste du Soudan serait repris par les forces nouvelles issues des périphéries : un islam des marchands, résolument ouvert sur le monde, entrant en compétition directe avec les intérêts occidentaux, tandis que Hemedti, encore au stade de l’accumulation du capital, cherche sa voie, sans aucun souci de l’avenir du Soudan et de son peuple, mais ouvert aux nombreuses opportunités qui s’offrent à lui sur ces terres du Sahel qui lui sont familières.

***

L’inversion du rapport entre centre et périphéries qui s’opère au Soudan est donc engagée, derrière les convulsions d’une transition démocratique condamnée. Elle signe l’épuisement de l’antique civilisation agraire centrée sur la vallée du Nil. Celle-ci s’efface au profit d’élans vitaux plus en phase avec la mondialisation : l’effondrement de l’État au bénéfice de forces économiques incontrôlées, et l’appel, si nécessaire, à un islam du business (et non pas des marchands), désincarné et déconnecté des réalités sociales, conçu comme un simple instrument de régulation autoritaire. Le Soudan constitue de ce point de vue un pendant à méditer des ruptures à l’œuvre dans l’ensemble des sociétés sahéliennes aujourd’hui.

 

  • 1. On peut voir là un remake de la révolution du 25 janvier 2011 au Caire, où l’armée, à la suite d’un processus complexe, parvint à se débarrasser de Hosni Moubarak qui, après trente ans sur le siège présidentiel, envisageait de transmettre son pouvoir à son fils Gamal : celui-ci, lié aux jeunes affairistes du parti au pouvoir, menaçait l’accès aux prébendes de la caste des officiers supérieurs. Et, à l’issue du coup d’État de juillet 2013, le maréchal Al-Sissi parvint à se débarrasser de toute opposition, à commencer par l’élimination physique des Frères musulmans, première force politique du pays, tout en conservant le soutien occidental.
  • 2. Le transfert à La Haye de ce responsable suprême du massacre de 300 000 civils, et du déplacement forcé de plus de 2 millions de personnes, fut prestement remplacé par une réprimande pour le coup d’État militaire par lequel il était arrivé au pouvoir – et qui n’avait donné lieu à aucune effusion de sang – et pour quelques centaines de milliers de dollars retrouvés sous son matelas.
  • 3. Minni Minnawi occupe un siège au Conseil de souveraineté, tandis que Jibril Ibrahim est ministre des Finances : les hommes d’affaires de leur groupe ethnique, les Zaghawa, ont pris en quelques décennies le contrôle de l’économie marchande du Soudan.
  • 4. Le Soudan est devenu le deuxième producteur d’or sur le continent africain, après l’Afrique du Sud.
  • 5. La solde d’un mercenaire atteindrait 1 000 dollars par mois (un pactole !), versés à sa famille.

Marc Lavergne

Géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient arabe et de la Corne de l’Afrique. Directeur de recherche au CNRS.

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Démission du Premier ministre soudanais: « Abdallah Hamdok était maintenant pris entre deux feux »

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Après une nouvelle journée de mobilisation contre la confiscation du pouvoir par les militaires, le Premier ministre Abdallah Hamdok, visage civil de la transition au Soudan, a annoncé sa démission dimanche 2 janvier, plus de deux mois après un coup d’État suivi d’une répression qui a fait 56 morts dans le pays. Qu’est-ce que cela préfigure pour le pays ?

Abdallah Hamdok était considéré comme un « traître » par les manifestants pro-démocratie depuis qu’il avait accepté de revenir à son poste le 21 novembre dernier, moins d’un mois après le coup de force du général Abdel Fattah al-Burhan. Depuis l’indépendance du Soudan il y a 65 ans, les manifestants le clament : ils ne veulent « ni partenariat, ni négociation » avec l’armée. L’analyse de Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique.

RFI : Cette démission était écrite, depuis qu’Abdallah Hamdok a accepté de reprendre son poste, un mois après le coup de force du général, ou bien c’est une surprise ?

Marc Lavergne : Je crois que c’était attendu, dans la mesure où Abdallah Hamdok était maintenant pris entre deux feux, entre la rue qui refusait toute suggestion par rapport aux militaires et qui voyait que cette transition n’aboutissait à rien, puisque le pays ne s’était pas redressé sur le point économique et que les militaires étaient toujours là avec une chape de plomb qui contrôlaient d’une part la vie économique et d’autre part la vie politique. Il y a eu des manœuvres qui ont permis aux militaires de récupérer certains groupes rebelles de leur côté, de faire ressortir les islamistes de l’ancien régime et de leur redonner une place, ainsi que les vieux partis politiques assez démonétisés comme le parti Oumma.

Donc, Il y avait une sorte de cul-de-sac dans lequel se trouvait le Premier ministre et il a tiré cette conclusion, en jetant l’éponge, ce qui était attendu depuis le début car il avait accepté de servir de vitrine aux militaires pour finalement donner, à cette révolution soudanaise, une image très positive en Occident et donc obtenir que soient levées des sanctions, que l’argent revienne mais au détriment finalement de la population (…)

 

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24 pctobre 2021, RFI Invité Afrique

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20211024-marc-lavergne-le-gouvernement-de-transition-soudanais-est-menac%C3%A9

«Le gouvernement de transition soudanais est menacé»

Alors que le Soudan a été ces derniers jours le théâtre de manifestations massives, entretien avec Marc Lavergne, chercheur au CNRS. (par Alexandra Branjeon)

Au Soudan, des centaines de milliers de personnes ont défilé jeudi 21 octobre dans plusieurs villes du pays, en soutien au gouvernement civil du Premier ministre Abdalla Hamdok. De leur côté, des milliers de partisans du pouvoir militaire observent un sit-in depuis plus d’une semaine devant le palais présidentiel.

 

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Jeudi 21 octobre 2021, des manifestants ont défilé dans la capitale soudanaise et dans tout le pays pour soutenir le gouvernement civil du premier ministre Abdalla Hamdok, contre les militaires. Khartoum. © REUTERS – MOHAMED NURELDIN ABDALLAH

 

RFI : Il y a quelques jours, on a vu des centaines de milliers de Soudanais défiler dans les rues en soutien au gouvernement d’Abdallah Hamdok. Pourquoi cela ?  Le gouvernement est-il menacé ?

Marc Lavergne : Oui. Le gouvernement est menacé de différentes manières. D’abord, cette transition démocratique qui dure depuis plus de deux ans n’a pas apporté tout ce qui en était attendu par la population, en matière en particulier de ressources et de bien-être. D’un autre côté, la transition est menacée par des forces externes, d’après ces manifestants, par les militaires qui sont partie prenante de la transition, mais aussi par des différences internes.

Par des militaires… Quels sont les signes de cette menace ?

Il y a eu un coup d’État qui a été mené le 21 septembre dernier par des groupes qui ne sont pas encore identifiés, mais en tout cas issus de l’armée. Puis, il y a le fait que les militaires eux-mêmes, ou en tout cas leur chef, le président du Conseil de souveraineté, qui a déclaré qu’il n’était pas satisfait du gouvernement des civils qui n’avait pas apporté les résultats qu’on en attendait, c’est-à-dire en particulier une restauration de l’économie du pays.

En effet, les civils accusent les militaires de vouloir saboter cette transition. Pourquoi ?

Je pense que les militaires n’ont jamais été vraiment sincères dans cette transition démocratique. Ils sont issus de l’ancien régime. C’étaient tous des gens qui ont servi sous le général Omar el-Béchir. Ça, c’est une chose. Et puis l’autre chose, c’est qu’ils sont soutenus par des pays comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et puis l’Égypte du maréchal [Abdel Fattah] al-Sissi qui ne sont pas des démocraties et qui ne souhaitent pas voir un pouvoir démocratique s’installer au Soudan (…)



Participation à des jurys de thèse

Soutenances de thèses

Moyen-Orient

2020 : Boussel Pierre : « Géostratégie du Temps au Proche-Orient », Laboratoire CITERES/EMAM, Université de Tours (dir. Marc Lavergne);

Maghreb

2007 : Y. Kouzmine,  « Dynamiques et mutations territoriales du Sahara algérien », Université de Besançon, (Dir. M-H de Sède-Marceau) ;

Arabie Saoudite

20 septembre 2019 : Romain Aby : « Analyse géopolitique des relations bilatérales entre l’Arabie Saoudite et la Chine » (1990-2017), Université Paris-8, Institut Français de Géopolitique, (Dir. Barbara Loyer), Président du jury ;

1996 : J. Seguin, «  L’Egypte et l’Arabie Saoudite : système, réseaux et interfaces autour de la mer Rouge septentrionale », Université de Tours (Dir. J-F Troin) ;

Egypte

22 novembre 2012  : Lise Debout,  « Gouvernements urbains en régime autoritaire. Le cas de la gestion des déchets ménagers en Egypte », Géographie et aménagement, université Lyon 2 (président du jury) ;

2010 : Hala Bayoumi, “Contribution à la modélisation et à la simulation des dynamiques socio-spatiales : phénomènes complexes en géographie, le cas de l’Égypte”, EPHE (Dir. M-F Courel) ;

Emirats Arabes Unis 

2021 :  Masson Semple, Laure : « Créer la ville de Dubaï : pouvoir tribal et aménagement urbain face au défi de la mondialisation », Université Lyon 2, (dir. Fabrice Balanche) (rapporteur);

24 janvier 2013  : Amin Moghadam, «  L’Autre rive : l’Iran recomposé de Dubaï. Etude des pratiques et discours des migrants iraniens  », Géographie et aménagement, Université Lyon 2 (directeur de thèse)  ;

2011 : Nadim Hasbani , « La politique de défense des Emirats Arabes Unis au sein des enjeux géopolitiques du golfe arabo-persique », Université Paris-VIII, Institut français de Géopolitique (Dir. L. Carroué) ;

2003 : B. El-Ghoul, « De la cité marchande à la cité globale. Pouvoir et société à Dubaï », Institut d’Etudes Politiques de Paris (Dir. G. Kepel) ;

Jordanie

16 décembre 2021 : Matthieu Alaime : « Economie et fabrique urbaine d’une extraterritorialité emblème du néolibéralisme. Le cas de la zone économique spéciale d’Aqaba en Jordanie », Université de Tours (dir. Nora Semmoud), rapporteur :

2004 : C. Jungen, « Les jeux de la relation. Ethnographie des élaborations du prestige à Kérak, Jordanie », Université Paris-X (Dir. R. Jamous) ;

15 décembre 1992 : A. Nsair : « Séismes démographiques et politiques d’habitat en Jordanie : le cas d’Amman », Université Paris-12 Val de Marne (Dir. C. Chaline) ;

Liban

17 octobre 2019 : Christèle Allès : « Etat et territoires au Liban. Une analyse à partir des politiques publiques de l’eau ». sous la direction de M. François Madoré, Laboratoire IGARUN, Université de Nantes ;

10 septembre 2019 : Ahmad Zakaria :  » Conflits et migration forcée. Le cas des réfugiés syriens au Liban », Laboratoire MIGRINTER, Université de Poitiers, sous la direction de MM. Cédric Audebert et Cyril Roussel (Président) ;

19 décembre 2017 :  Chebib Amane : « L‘impact des facteurs physiques et humains sur le développement durable d’une région marginalisée : le cas de Dennieh (Liban-Nord)  », GREMMO, co-tutelle Université Libanaise/Université Lyon 2 ;  Beyrouth, UL,  (co-directeur);

2 mars 2015  : Bruno Dewailly «  Pouvoir et production urbaine à Tripoli al-Fayhâ’a (Liban). Quand l’illusio de la rente foncière et immobilière se mue en imperium  », Université de Tours (président du jury) ;

2003 : N. Baalbaky, « Le nouveau Beyrouth : contribution à l’étude de la centralité urbaine », Université Paris-X,  (Dir. G. Burgel) ;

Libye

2022 : Hasard, Christian : « Les mouvements islamistes en Libye (2011-2020). Hétérogénéité et enjeux géopolitiques », Université Paris-8, Institut Français de Géopolitique, (dir. Ali Bensaad), Président du jury.

2021 : El Kawafi, Mohamed : »Libye : le pluralisme médiatique à l’épreuve de la dualité institutionnelle », Université Paris-8,Institut Français de Géopolitique, (dir. Ali Bensaad), Président du jury

2021 : El Arnaoti, Alal : « Renouvellement et lutte de reclassement des élites libyennes en situation post – révolutionnaire : le cas de Tripoli », Institut Français de Géopolitique, Université Paris-8 (dir. Ali Bensaad), Président du jury.

Oman

2020 : Klinger, Thibaut : « L’aménagement du territoire et la construction de l’identité nationale au sultanat d’Oman », Laboratoire CITERES/EMAM, Université de Tours (dir. Marc Lavergne);

Somalies

2020 : Ismail Oumar Keldon : « Identités et pouvoir dans les villes du monde somali de la Corne de l’Afrique », Université de Rennes (Anne Rouallet, dir.) (rapporteur) ;

18 mai 2018 : François Guiziou : « Le monde somali. Les apparences du chaos aux périphéries de la mondialisation », Université de Nantes Bretagne-Loire, sous la direction de Monsieur le Professeur Jacques Guillaume  (rapporteur) ;

Soudans

24 juin 2013  :  Clémence Pinaud : ォ  Les armes, les femmes et le bétail. Une histoire sociale de la guerre civile au Sud-Soudan (1983-2005), CEMAF, Université Paris-1  (Dir. Gérard Prunier);

2006 : A. Choplin,  « Fabriquer des villes entre monde arabe et Afrique noire : Nouakchott (Mauritanie) et Khartoum (Soudan). Etude comparée ». Université Paris-I, (Dir. M-F Courel) ;

1996 : J. Hammad, « Pouvoir, idéologie; société. Le cas du Soudan de Numayri (1969-1985), Université Paris-VII (Dir. Jacques Couland) ;

12 décembre 1996 : S. Hussein : « Media et cohésion sociale au Soudan depuis l’indépendance jusqu’à nos jours » , Université Paris-1 (Dir. Jean-Pierre Chrétien)  (rapporteur);

Syrie

26 juin 2014  : M. Fidaa Zayna «  La ruralisation et la mutation socio-spatiale en Syrie. Le développement des villages de montagne ans l’arrière-pays de Lattaquié  » , Institut d’urbanisme et d’aménagement régional de l’université d’Aix-Marseille/MMSH, (rapporteur)  ;

2007 : C. Roussel,  « L’espace communautaire des Druzes du Sud de la Syrie : des stratégies de création d’un territoire à celles de la mobilité » Université de Tours,(Dir. P. Signoles) ;

2004 : M. Ababsa, « Idéologies et territoires dans un front pionnier : Raqqa et le projet de l’Euphrate en Jazira syrienne » Université de Tours, (Dir. P. Signoles) ;

 



Soulèvements dans le monde arabe : l’exception soudanaise ?

Revue  Moyen-Orient, n°45, janvier-mars 2020

https://www.areion24.news/produit/moyen-orient-n-45/

Soulèvements dans le monde arabe : l’exception soudanaise ?

par Marc Lavergne
Fin 2019, la situation soudanaise semblait stabilisée : des mois de soulèvements populaires massifs guidés par l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), contre des forces armées représentées par le Conseil militaire de transition (CMT) mis en place au lendemain de la destitution du général-président Omar al-Béchir le 11 avril 2019, après 30 ans au pouvoir, ont abouti à la nomination du gouvernement dirigé par Abdallah Hamdok en août. Le rôle des monarchies du Golfe a été central dans le déroulement de cette transition, pour provoquer la chute du dictateur dans un premier temps, puis pour tenter, dans un second, d’éviter la mise en place d’une évolution démocratique. En vain.
Cette issue pacifiée est le résultat de la détermination du mouvement populaire soudanais qui a soulevé les villes du Soudan central depuis le 19 décembre 2018, contre la crise économique, puis contre la personne du chef de l’État et le régime islamiste en place depuis le 30 juin 1989. La combinaison du soulèvement de la rue et de la jeunesse au sein de l’ALC, avec des organisations plus chevronnées, compétentes et légitimes comme l’association des professionnels, a assuré sa poursuite jusqu’au 3 juin, où le sit-in installé devant le quartier général de l’armée a été sauvagement dispersé par les soldats mais aussi par des paramilitaire regroupés au sein des dites Forces de déploiement rapide (FDR) (1). Ainsi, on comprend que si l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis font contre mauvaise fortune bon cœur, leurs ambitions régionales, complémentaires ou rivales, demeurent, ainsi que leurs moyens de pression sur les nouvelles autorités de Khartoum.

Une milice à la solde de l’Arabie saoudite

Les FDR sont l’émanation des janjawids lancés au début du conflit au Darfour en 2002 à l’assaut de villages supposés rebelles. Ces supplétifs issus principalement des tribus arabes nomades en mal de territoires pastoraux des périphéries du Darfour, sont désormais étoffés par des jeunes venus de tout le Sahel. La gestion de ces « soldats de fortune » est confiée à Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », un aventurier lui-même originaire du Darfour et ancien vice-président du CMT (avril-août 2019). Ils sont chargés du contrôle des frontières, donc du racket des migrants, et ont mis la main sur les gisements aurifères du djebel Amir, au nord du Darfour, où opèrent des dizaines des milliers d’orpailleurs venus de toute l’Afrique. Surtout, depuis 2015, entre 8000 et 10000 d’entre eux sur les quelque 60000 dont dispose Hemedti ont été « loués » à l’Arabie saoudite qui les utilise comme chair à canon dans la guerre du Yémen. Ces différentes activités ont fait la fortune de Hemedti, dont les troupes forment une véritable armée, mieux équipée, mieux payée et entraînée que les forces régulières. Grâce à ces soutiens, Hemedti est devenu le personnage le plus puissant de l’échiquier politique soudanais, même s’il se tient derrière le chef de l’État en titre, le général Abdel Fattah al-Burhan, président du Conseil de souveraineté depuis août 2019 (2). Depuis l’instauration de la révolution de salut public en 1989, sous la férule de l’islamiste (Frères musulmans) Hassan al-Tourabi (1932-2016), l’hostilité née de la rivalité pour la direction de l’islam mondial n’a pas varié : le mentor du nouveau régime s’est évertué à faire de Khartoum une rivale de Riyad, accueillant Oussama ben Laden (1957-2011) et Al-Qaïda entre 1991 et 1996, ainsi que, chaque année, une conférence arabo-islamique réunissant les mouvements insurrectionnels islamistes de la planète, pour une démonstration de force – ou de  capacité de nuisance – s’étendant des groupes armés algériens à l’insurrection d’Abou Sayyaf aux Philippines.

Certes, la mise à l’écart de Hassan al-Tourabi après l’attentat contre le président égyptien Hosni Moubarak (1981-2011) en 1995, qui a conduit à mettre le Soudan sur la liste des États soutenant le terrorisme, les attentats contre les ambassades américaines de Dar es-Salam (Tanzanie) et Nairobi (Kenya) en 1998, et la découverte du pétrole au tournant des années 2000, avaient conduit le Soudan à modérer ses positions. Le 11 septembre 2001 avait rapproché Khartoum de Washington, les services spéciaux soudanais (NISS) du général Salah Gosh n’hésitant pas à ouvrir à la CIA leurs dossiers sur les mouvements islamistes ; pour autant, le Soudan avait gardé ses liens étroits avec l’Iran, et surtout avec le Qatar (3), provoquant colère et méfiance en Arabie saoudite. Coopération militaire et sécuritaire avec Téhéran, coopération diplomatique et économique avec Doha se complétaient pour contester la suprématie revendiquée par Riyad de part et d’autre de la péninsule Arabique. Certes, l’Arabie saoudite avait finalement obtenu, à l’issue des « printemps arabes » (4), que le Soudan rejetât son alliance historique avec l’Iran, et rejoignit en 2015 la coalition antihouthistes au Yémen.

Mais les relations furent maintenues avec le Qatar après sa mise sous embargo en mai 2017, et amplifiées par la concession par Khartoum de la remise en état de la rade de Souakin. Ce port abandonné en 1905 au large des côtes du Hedjaz fut depuis le XVIe siècle sous la domination ottomane, le port historique d’embarquement des pèlerins africains vers Djeddah, accès des lieux saints de La Mecque et Médine : un défi de Khartoum à la dynastie des Al-Saoud et à sa suprématie sur l’islam mondial à la fois symbolique par sa résonance en Afrique sahélienne et un rappel de la conquête du Hedjaz par les Al-Saoud en 1925, et par la menace concrète que pouvait représenter l’installation d’une base navale turco-qatarienne en face d’un centre économique névralgique d’Arabie. D’autre part, l’asile fourni aux Frères musulmans égyptiens pourchassés par le régime d’Abdel Fattah al-Sissi après le coup d’État du 30 juin 2013, ainsi que l’aide apportée au Hamas, indisposait l’Égypte et ses alliés, d’Israël au Golfe. L’affaiblissement du régime de Khartoum sur la scène intérieure depuis 2018 avait donc incité Salah Gosh, rentré en grâce à la tête du NISS après une mise à l’écart de près de dix ans, à prendre langue avec Riyad et Abou Dhabi pour parvenir à un rapprochement.

La chute d’Omar al-Béchir, une victoire saoudienne

Au cours de nombreux allers-retours de part et d’autre de la mer Rouge, à la suite du déclenchement de l’insurrection populaire en décembre 2018, Salah Gosh et Hemedti mirent au point avec les Saoudiens l’éviction d’Omar al-Béchir, bouc émissaire parfait de la colère populaire, d’autant que frappé d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), il ternissait l’image du régime à l’étranger (5). Sa chute et la destruction de l’« État profond » islamiste hérité de Hassan al-Tourabi furent menées à bien le 11 avril 2019 par Salah Gosh en personne (6). Pour autant, cette éviction, l’emprisonnement qui suivit et la mise en accusation pour un délit véniel de corruption ne suffirent pas à calmer les attentes de la population, qui réclamait la fin du régime militaire en place depuis 30 ans. Salah Gosh, haï par la foule, étant mis en prison – ou s’étant mis à l’abri en attendant des jours meilleurs ? – , les nouveaux dirigeants du CMT, le général Al-Burhan se rendit à Abou Dhabi et au Caire, et Hemedti rencontra à Djeddah le prince héritier saoudien, Mohamed bin Salman, le 24 mai pour demander des « instructions ». Peu après leur retour éclatèrent les massacres du 3 juin, qui mettaient fin au sit-in face au QG de l’armée à Khartoum, faisant plus de 200 morts et disparus : ayant atteint leurs objectifs de mise à l’écart d’Omar al-Béchir, les forces armées espéraient briser le soulèvement populaire, avec la bénédiction de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Mais, dès le 5 juin, les États-Unis appelèrent le royaume Al-Saoud à cesser d’attiser la violence au Soudan, une prise de position inattendu qui préfigurait le soutien des démocraties occidentales au mouvement de contestation (7).

Après une nouvelle manifestation populaire massive le 30 juin, qui prouvait la capacité d’organisation et la détermination du mouvement populaire, les négociations entre militaires et civils purent reprendre sous l’œil vigilant du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed Ali (depuis 2018), mandé par l’Union africaine (UE) et les États-Unis. L’accord finalisé le 17 août 2019 comporte la nomination d’un Conseil de souveraineté de 11 membres, appelé à diriger le pays durant une période transitoire de trois ans, sous la direction d’Al-Burhan, chef de l’État représentant la caste militaire au pouvoir. Un Premier ministre, Abdallah Hamdok, a été nommé d’un commun accord le 21 août ; il lui a fallu trois semaines pour obtenir l’accord des militaires sur le choix de ses ministres civils : le cabinet compte 18 membres, dont 4 femmes (une est de religion copte), ce qui a été abondamment souligné en Occident et qui a valu le soutien louangeur de la communauté internationale. Mais deux portefeuilles clés, la Défense et l’Intérieur, restant aux mains de militaires. Un partage des tâches qui revient à confier aux civils la gageure de redresser l’économie nationale, avec le risque d’endosser la responsabilité de l’échec, et de susciter frustrations et désarroi de la part de leurs soutiens dans l’opinion publique, tandis que les militaires gardent la haute main sur le pouvoir et sans doute les prébendes qui lui sont liées.

L’engagement saoudo-émirien : alliés ou rivaux ?

Cette victoire apparente et partielle du mouvement de revendication populaire a été avalisé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et relégué provisoirement au second plan leur protégé Hemedti. Les deux monarchies se prêtent d’apparemment bonne grâce au rôle qui leur est imparti de donner un ballon d’oxygène financier au Soudan. Les trois milliards de dollars qui avaient été promis à Omar al-Béchir pour calmer la foule seront décaissés pour le redressement de la monnaie nationale (livre soudanaise), et pour la livraison de pétrole et de blé, d’ici à la fin 2028. Le premier objectif de l’Arabie saoudite a été l’élimination des Frères Musulmans qui contestent la légitimité du wahhabisme – sur le plan doctrinal – en particulier le refus du sectarisme anti-chiite en vogue à Riyad – et la mainmise de la dynastie des Al-Saoud depuis un siècle sur les lieux saints de l’islam. Comme nous l’avons déjà souligné, Omar al-Béchir donnait toujours asile aux Frères musulmans pourchassés par le régime militaire égyptien depuis juin 2013, et avait conservé des liens anciens et étroits avec le Qatar et la Turquie, alimentant le soupçon de duplicité. L’épuration de l’armée, mise sous la coupe de commissaires politiques islamistes depuis juin 1989 est désormais engagée. Pour Riyad, la chute du régime militaro-islamiste de Khartoum est donc une revanche longtemps attendue.

Mais l’intervention saoudienne s’explique aussi par le rôle nouveau que joue la mer Rouge dans les projets de Mohamed ben Salman. Celui-ci a décidé de réorienter le développement  de son pays  vers la mer Rouge : dans sa Vision 2030, elle symbolise l’ouverture et l’avenir avec le projet NEOM. Cette cité artificielle vouée aux technologies du futur est censée s’y déployer, sur la route maritime entre l’Extrême-Orient et l’Occident, alors que le Golfe, mer fermée et stérile, est le lieu de la confrontation avec l’Iran, rival inexpiable. Pour contrôler cet axe maritime, l’Arabie saoudite a créé en janvier 2019 l’Organisation des pays riverains de la mer Rouge, à laquelle ont été conviés les concernés – mais ni l’Éthiopie ni les Émirats arabes unis, qui ont pourtant de forts intérêts stratégiques et économiques à y faire valoir. Les Émirats arabes unis jouent dans le dossier soudanais – comme vis-à-vis de l’intervention au Yémen, un rôle apparemment en harmonie avec leur allié saoudien. Mais les buts comme les moyens, sont sensiblement différents, et pourraient même conduite à une opposition plus affichée. Les Émirats Arabes Unis préparent eux aussi l’après-pétrole. Mais leur objectif premier est de contrôler l’accès au continent africain par des points d’appui clés sur les
rivages de part et d’autre du golfe d’Aden. C’est ainsi que les forces supplétives émiraties se sont déjà confrontées aux forces soutenues par Riyad au sud du Yémen, et que leur enjeu immédiat est centré sur les ports donnant accès au massif éthiopien. Ils ne sont que marginalement présents dans la mer Rouge, si ce n’est avec Assab, base-clé de l’intervention au Yémen, mais aussi demain d’accès à l’Éthiopie. Les Émiratis ressentent avec irritation leur exclusion du projet saoudien de la nouvelle organisation pilotée par Riyad, et ils souhaitent éviter de laisser le champ libre à l’Arabie saoudite au Soudan.

Un Soudan stable, un atout dans le nouveau « Scramble for Africa » ?

Le Soudan fut jusqu’en juillet 2011 le plus vaste pays d’Afrique, s’étendant du tropique du Cancer aux lisières de l’équateur : une diversité de climats et de milieux traversée par les cours du Nil Bleu et du Nil Blanc, qui pouvaient faire de cet espace faiblement peuplé un eldorado de développement agricole, en dépit de la sécession du Sud, plus arrosé. De plus les ressources de son sous-sol sont également abondantes (9). Les pays du Golfe ont depuis longtemps compris l’intérêt d’investir dans la « sécurité alimentaire ». L’Arabie saoudite a ainsi investi 13 milliards de dollars dans ce pays exsangue entre 2000 et 2017, selon l’institut Clagendael aux Pays-Bas (10). Dès les années 1980, des banques islamiques ou des magnats, comme Adnan Khashoggi, y avaient déjà obtenu des concessions agricoles de dizaines, voire de centaines de milliers d’hectares. Cet engouement s’est accentué ces dernières années avec l’érection de sept barrages sur les « cataractes » qui barrent le Nil en aval de Khartoum (11). Ces investissements reposent sur la spoliation des terres ancestrales des communautés villageoises ou nomades, et soulèvent donc une opposition déterminée qui freine l’engouement des investisseurs. La mise en place d’un régime stable et moins corrompu à Khartoum pourrait être un facteur de stabilisation de cette ressource, au service du développement soudanais Le sous-sol est une autre source d’intérêt de la part des investisseurs internationaux : le Soudan est le deuxième producteur d’or du continent derrière l’Afrique du Sud, mais ce pactole est entièrement dissipé et ne bénéficie pas au développement du pays (12). D’autres minerais attisent les convoitises, comme le chrome, exploité depuis des décennies, et les terres rares sont dans tous les esprits, en quête de nouveaux gisements pour briser le quasi monopole détenu par la Chine.

Mais l’implication des monarchies du Golfe au Soudan ne peut se comprendre qu’en l’inscrivant dans une perspective plus large : les Émirats arabes unis ont gardé leur vocation ancestrale de puissance maritime : l’occupation du Yémen du Sud et en particulier des ports du Hadramaout et d’Aden, ainsi que de l’île de Socotra, par les forces émiraties, constitue l’ébauche d’un écheveau qui se poursuit sur les côtes somalies et le long de l’océan Indien. La Corne de l’Afrique, de même que le détroit de Bab el-Mandeb, est donc le socle d’une stratégie émiratie qui rejoint la Libye où opère leur champion, le général Khalifa Haftar. Dans cette optique, les Émiratis s’appuient plus sur l’armée régulière soudanaise dans leur engagement au Soudan, que les Saoudiens, qui voient en Hemedti un instrument de lutte efficace contre leurs compétiteurs idéologiques de l’islam militant et au besoin, d’intervention dans toute la bande sahélienne.

Il importe de saisir la particularité du Soudan dans l’ensemble des soulèvements qui embrasent le monde arabe ; si les causes de la révolte de la révolte sont similaires, de la corruption rampante à l’arrogance des dirigeants qui s’appuient sur des divisions d’un autre âge, le soulèvement populaire soudanais se distingue par la maturité de ses acteurs : le Soudan bénéficie en effet d’une expérience ancienne de l’action politique, et de cadres intellectuels et administratifs de valeur. Cette capacité organisationnelle et manœuvrière lui a permis d’articuler la révolte populaire de la jeunesse urbaine avec des revendications structurées, et de surmonter les aléas des différents épisodes qui se sont succédés depuis un an. Ce réalisme et cette compétence sont un gage de succès dans la période de transition qui s’ouvre, avec un soutien affiché des pays occidentaux, et contre les aventures qui pourraient tenter d’autres acteurs du Golfe ou d’ailleurs.

M. Lavergne



« Du Soudan au Yémen, ce que nous dit la recomposition politique en cours de la mer Rouge au golfe d’Aden », un article de Marc Lavergne dans le Figaro Vox, 11 septembre 2019

http://www.lefigaro.fr/vox/monde/du-soudan-au-yemen-ce-que-nous-dit-la-recomposition-politique-en-cours-en-afrique-20190911

 

 



Sélection d’interventions media en 2019

 

Journal du dimanche  : Au Soudan, les femmes en tête de cortège

https://mail.google.com/mail/u/0/#sent/KtbxLzflgVJXtJkshBvqkrWfSzkNWfJmSq?projector=1&messagePartId=0.1

18/02/2019 : https://www.liberation.fr/planete/2019/02/18/turquie-vers-l-afrique-et-au-dela_1710136

31/01/2019 : RFI  Soudan http://www.rfi.fr/emission/20190131-soudan-avoir-tentative-sauver-regime-ecartant-president

23/01/2019 : KTO Yémen  http://backend.ktotv.com/video/00254793/ymen-terrain-de-guerre-des-puissances-rgional

21/01/2019 Quotidien La Croix  https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Le-mouvement-contestation-faiblit-pas-Soudan-2019-01-21-1200996869

11/01/19 : Le Monde Afrique https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/11/soudan-omar-al-bachir-s-accroche-au-pouvoir-car-c-est-son-assurance-vie_5407667_3212.html

 



Un choix d’interventions média en 2018 :

14 octobre 2018 : https://www.france24.com/fr/20181014-erythree-ethiopie-reconciliation-paix-nouvel-exode-refugies-camp-frontieres

4 octobre 2018 : RFI, émission Décryptage, Soudan du Sud : la guerre la plus meurtrière du monde ; http://www.rfi.fr/emission/20181004-soudan-sud-guerre-cours-plus-meurtriere-monde

20 septembre 2018 : France -Culture, émission Enjeux internationaux,  Soudan du Sud  : la paix en vue ?

https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/soudan-du-sud-nouvel-accord-de-paix-signe-sous-la-pression

12 aout 2018, RFI, émission Géopolitique par Chantal Lorho, avec Hala Kodmani et nabil Ennasri : Un an après l’accession au pouvoir de Mohamed ben Salman en Arabie Saoudite :
www.rfi.fr/emission/20180812-arabie-saoudite-bilan-salman-qatar-canada-hariri-femmes

Juillet 2018 : Africa n°1, émission Le grand débat, avec Mohamed Nagi et Michel Raimbaud, sur les perspectives de paix au Soudan du Sud

Juillet 2018 : TV 5 Monde, émission Info Afrique : https://information.tv5monde.com/afrique/l-erythree-beaucoup-gagner-d-un-rapprochement-avec-l-ethiopie-247629

12 mai 2018 : RFI, invité Afrique :http://www.rfi.fr/emission/20180512-soudan-sud-situation-humanitaire-est-catastrophique

6 avril 2018 : Emission Africa, sur RFI en langue anglaise : New port projects in Red Sea corridor for Sudan, Somaliland as Arab backers jostle for position :

http://en.rfi.fr/africa/20180406-new-port-projects-red-sea-corridor-sudan-somaliland-arab-backers-jostle-position

7 février2018 : France Culture, émission Culture Monde : Les monarchies modernes : De Qabous à Ibn Salmane, les défi de la succession

https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-du-mercredi-07-fevrier-2018

20 janvier 2018 : RFI, Invité Afrique : Le Soudan manque de ressources  »

http://www.rfi.fr/emission/20180120-marc-lavergne-soudan-manque-ressources


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